Place(s) publiques(s)
Courant septembre, on enlèvera les blocs de béton posés devant la cathédrale d’Angoulême. Ceux-là mêmes qui symbolisent depuis plus d’un an, à eux seuls, un certain naufrage du rapport à l’espace public. Ils seront remplacés par quelques jardinières et bancs. Pas tout à fait ce qui était promis au départ. Mais au moins, ce sera « plus joli ».
Dans l’article de la Charente Libre consacré à ce sujet, il est beaucoup question de finances. D’un projet à trois millions d’euros qui devient un aménagement à 100 000 euros. De matériaux « moins onéreux ». D’un éclairage finalement « non prévu ». D’une ambition réduite à vue d’œil. Mais ce n’est pas seulement une question de budget. C’est surtout une affaire de méthode.
La mairie parle d’un projet simplifié, « en attendant mieux », pour calmer les esprits avant les élections. Elle évoque une végétalisation express, une semaine de travaux, quelques images de synthèse postées sur les réseaux. Dans le cadre du réaménagement de la Place Francis Louvel, quelques centaines de mètre plus loin, elle espère même « éviter une nouvelle pétition », dixit l’adjoint aux travaux. Voilà donc à quoi se résume désormais le rapport entre habitants et institutions : une stratégie de communication pour désamorcer la colère, plutôt qu’un processus de dialogue pour construire du commun.
On devine, derrière cette gestion à la va-vite, les symptômes d’un modèle en bout de course : décisions descendantes, concertation absente, arbitrages précipités, et surtout une forme d’oubli de ce que devrait être l’espace public. Non pas un décor, mais un lieu de vie. Non pas une dépense à réduire, mais un bien commun à cultiver. Ce que les habitants réclament n’est pas un banc de plus ou de moins, c’est d’être associés aux choix qui les concernent. Ce qu’ils dénoncent, ce n’est pas uniquement le béton, c’est l’isolement des décisions.
Il ne s’agit pas ici de pointer une équipe municipale en particulier. Ce qui est à l’œuvre dépasse les individus. C’est un rapport entier à la ville, au territoire, à la parole citoyenne qu’il faut repenser. Si les « embouteillages de béton » devant la cathédrale ont suscité autant de rejet, ce n’est pas pour leur esthétique seule : c’est parce qu’ils cristallisaient une rupture dans le pacte tacite entre élus et habitants. Une rupture qu’aucune jardinière ne suffira à combler.
On dit parfois qu’à Angoulême, rien ne bouge, ou que tout se décide en petit comité. Ce qui est frappant ici, ce n’est pas tant l’inertie que le décalage. Entre ce qui est perçu comme nécessaire par les uns et ce qui est priorisé par les autres. Entre les attentes exprimées et les réponses apportées. Entre le récit d’un aménagement et la réalité de sa mise en œuvre.
Peut-on réconcilier tout cela ? Rien n’est moins sûr si l’on continue à faire comme avant. Mais tout reste possible si l’on accepte, un jour, de prendre les habitants pour autre chose que des spectateurs. Le politique ne manque pas d’idées. Ce qui lui manque, trop souvent, c’est le courage de l’écoute.